19. Une tradition à éliminer : les femmes ne peuvent pas exercer certains métiers !

 

   C’est une vieille tradition « culturelle », machiste, elle n’a aucun fondement scientifique, nous avons tous le même cerveau en naissant. Seul le pouvoir des hommes et les traditions en sont responsables. Pendant des siècles, certains métiers ont été interdits aux femmes, comme par exemple celui de mathématicienne. Je vous livre deux exemples :

Sophie Germain (1776-1831)

   Elle se prend de passion pour les mathématiques à l’âge de treize ans, après avoir lu dans la bibliothèque familiale un chapitre sur la vie d’Archimède (selon Wikipédia). Son père (oui, vous avez bien lu, son père) est contre, c’est un métier d’homme ! Il lui confisque les chandelles pour l’empêcher de travailler la nuit.

   En grandissant, elle prend un nom d’emprunt d'homme pour obtenir des documents et communiquer avec des mathématiciens : Antoine Auguste Le Blanc.

   Elle établit la preuve de la conjecture de Fermat pour certains nombres premiers. Elle épate le grand mathématicien français Lagrange par ses écrits : convoquée, elle doit se démasquer !

   En 1804, elle entre en contact épistolaire avec le génial Gauss. Deux ans plus tard, Napoléon qui a envahi la Prusse se rapproche de la ville natale de Gauss (Brunswick). Sophie Germain demande au général de l’Empire Pernetty, un ami de la famille, de protéger Gauss. Ce sera fait ! Elle est obligée de se démasquer une seconde fois. La lettre de Gauss à Sophie Germain du 30 avril 1807 est émouvante :

« … Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés que les hommes à se familiariser avec ces recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur... »

Sofia Kovalevskaïa (1850-1891)

   Petite noblesse, vie culturelle intense à Moscou. Plusieurs scientifiques dans la famille. Gouvernante stricte, enfant précoce en mathématiques, tuteurs vite dépassés. A 14 ans, elle étudie la trigonométrie pour… comprendre un livre d’optique qu’elle est en train de lire. Après ses études secondaires, deux difficultés pour faire des mathématiques :

-  Les universités russes sont interdites aux femmes.

- Impossible d’aller ailleurs, car les voyages sont interdits aux femmes célibataires non accompagnées.

   La solution : un mariage blanc, avec Vladimir Kowaleski ! Ils partent à Heidelberg en Allemagne (elle a 19 ans). Elle est autorisée à s’inscrire en faculté. Après 2 ans, ses professeurs émerveillés l’orientent vers Karl Weiestrass (un des plus grands mathématiciens de tous les temps) à Berlin. Lui aussi va l’apprécier.

   Mais à Berlin l’inscription est interdite aux femmes. Elle reçoit des cours privés et est initiée à la recherche (gratuitement) par Weierstrass pendant 4 ans.

   Elle écrit 3 mémoires qui lui valent en 1874 un doctorat à l’université de… Gottingen, plus libérale que Berlin. Exceptionnel : pas de cours suivis dans cette université, pas de soutenance publique (c’est un homme qui présente son travail, in absentia !). Elle est la première femme « docteur en mathématiques » en Allemagne.

   30 ans. Oui, docteur en mathématiques, mais pas de travail pour une femme. Retour en Russie. Décès du père. Conditions de vie difficiles. Écriture d’une fiction, critique de théâtre… avant de retourner aux mathématiques.

   De nouveau, départ pour Berlin avec sa fille pour se rapprocher de Weierstass.

   Puis, la réussite en… Suède ! En effet, à 33 ans, c’est l’ouverture : Gosta Mittag-Leffler, un autre élève de Weierstass (et ami du roi de Suède), l’invite à Stockholm pour une série de conférences. Poste provisoire, puis définitif. Une exception en Europe : la première femme à occuper une « chaire » de mathématiques.

   41 ans : décès de Sofia Kovalevskaya (dépression et pneumonie). Elle laisse une belle œuvre de mathématicienne.

   Plusieurs mathématiciennes sont mortes très jeunes. C’est aussi le cas de Maryam Mirzakhani, la seule femme médaillée Fields (équivalent du Prix Nobel en mathématiques) qui est décédée à l’âge de 40 ans.

Nicole El Karoui est responsable avec Marc Yor et Gilles Pagès d'une formation de haut niveau en mathématiques financières à l'université Paris VI au sein du master de probabilités et finance — en cohabilitation avec l'École polytechnique —, qui forme environ 100 élèves par an.

   En tant que spécialiste des probabilités, elle travaille sur la modélisation de l'incertain appliquée à la finance.

   Elle est considérée comme étant l'une des pionnières du développement des mathématiques financières depuis la fin des années 1980. (Wikipedia).

    Et, elle est mère de 5 enfants !

   La presse (nationale et internationale) a beaucoup écrit sur elle. En particulier, le Wall Street Journal qui a publié un article élogieux en première page ! Il faut dire que beaucoup de ses élèves s’en vont à Londres, New-York, Hong Kong… hélas pour la France !

   A la question de Sorbonne-Université : pourquoi est-ce si important selon vous de former les femmes en mathématiques ? Nicole El Karoui répond : « Avec l’explosion du big data, nous vivons aujourd’hui une situation similaire à ce qui s’est passé dans les années 80 avec la finance. Un champ nouveau se créé et avec lui d’infinies possibilités de jobs. Il faut que les femmes s’en saisissent et que les lycéennes prennent conscience que dans les dix prochaines années, elles pourront être recrutées sur ces nouveaux métiers, y compris sur des postes à responsabilité. Celles qui n’auront pas la culture des données risquent d’être pénalisées. C’est pourquoi il est important que toutes acquièrent un bagage scientifique de base. »

   Un autre exemple de la mauvaise influence du passé sur l’avenir des femmes. Dans les années 1980, j’avais proposé de créer une école d’ingénieurs en informatique à Nice Sophia-Antipolis. Pourquoi ? Tout simplement parce que j’avais rencontré le secrétaire général de la SYNTEC, chambre professionnelle des sociétés de conseils et de services informatiques. Il était formel, nous avions besoin de milliers d’ingénieurs en informatique !

   Le dossier présenté par l’Université de Nice à la commission qui délivre le titre national d’ingénieur est revenu avec des exigences de la commission pour donner suite à notre demande. En gros, faites-vous la main en créant un enseignement lourd, comme celui d’une école d’ingénieurs et revenez nous voir. Il s’en est suivi la création d’une Maitrise des Sciences et Techniques (enseignement bien plus lourd qu’une maitrise ordinaire), suivi par un Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées avec 6 options.

   Nous ferons la preuve que nous trouvons des étudiants et des stages, bien plus, que nous savons établir des contacts fructueux avec le monde industriel. Deux ans plus tard, le nouveau dossier est accepté, l’École « Informatique et Sciences de l’Ingénieur » est créée à Nice-Sophia Antipolis !

   Plus tard, elle deviendra « Polytech Nice Sophia » avec ses 300 diplômés par an, tous embauchés !

   Et voici qu’un grand changement va avoir lieu, c’est dire l’influence culturelle des croyances qu’on met dans la tête des filles. Pendant les deux ans de MST et DESS, dans les effectifs des élèves, les filles étaient plus que majoritaires (9 filles pour un garçon) ; elles étaient largement du niveau. Dès que le titre d’ingénieur a pu être délivré, avec pratiquement le même enseignement, une inversion invraisemblable s’est produite : 9 garçons pour une fille. Comme si une loi occulte interdisait aux filles de devenir ingénieurs ! Certains attribuent ce comportement à un manque de confiance des femmes. Pourtant, elles étaient très brillantes en MST et DESS. Encore un résidu du passé, le métier d’ingénieur n’est pas un métier de femme ! Et puis, les pouvoirs publics ne font rien pour faire disparaître ces croyances erronées !